La réhabilitation psychiatrique dessine sa place dans une grande famillePierre Lalonde / Montréal
Les soins psychiatriques ont bien progressé au cours des dernières
années et leur avenir est encore plus prometteur. La transformation de nos connaissances
sur la physiopathologie du cerveau entraîne un réaménagement de nos interventions
thérapeutiques. Lattitude pessimiste de bien des thérapeutes et familles face aux
maladies mentales graves et persistantes, fait place à des objectifs thérapeutiques
individualisés, réalisables, observables et mesurables. La prétention nest plus
la cure, mais plutôt ladaptation face à un handicap : la réadaptation- ou
encore le développement de nouvelles habiletés pour faire face à une invalidité :
la réhabilitation. Comme le dit le dictionnaire, réhabiliter cest " rétablir
dans lestime, la considération dautrui " des malades stigmatisés
et leurs parents culpabilisés.
Le drame, cest quon a été, pendant des années,
persuadé de connaître la cause et le traitement des maladies mentales. Trois grandes
écoles s'opposaient et souvent dénigraient lapproche des autres : les tenants
de lintrapsychique, de linteraction (famille ou société) et de la
psychopharmacologie. Souvent la controverse était alimentée par des observations
anecdotiques et des argumentations péremptoires ; on faisait une surenchère de
déductions à partir de conceptions théoriques. On ne se préoccupait pas vraiment de
démontrer ses conclusions par des recherches scientifiques contrôlées. Dailleurs,
pour plusieurs, la recherche était considérée comme suspecte ; on répugnait à
mesurer le fonctionnement mental et à comparer les résultats des interventions
thérapeutiques. Ou bien on alléguait que lhumain nest pas mesurable.
Ces présomptions ont inhibé la recherche en psychiatrie qui accuse
trente ans de retard. Néanmoins, des résultats de recherche nous font régulièrement
découvrir que lintrapsychique et le relationnel ne sont que quelques-uns des
déterminants de la maladie mentale : souvent dailleurs, ils sont plutôt
lune des conséquences (et non la cause) de ces maladies du cerveau.
Linteraction entre les aspects bio-psycho-sociaux est de mieux en mieux mise en
évidence, tant au niveau des causes que des interventions thérapeutiques qui en
découlent.
Les disputes futiles décoles, basées sur des arguments
dautorité, font de plus en plus place à une recherche scientifique laborieuse,
mais qui commence à donner des résultats éclairants, nous obligeant à réviser nos
conceptions étiologiques et thérapeutiques en psychiatrie. Lavenir,
lavènement de la décennie du cerveau ouvrent à la synthèse, à la causalité
circulaire, à leffet additif et interactif plutôt quau cloisonnement
théorique redondant.
En Amérique, tout comme en Europe, une proportion impressionnante
décrits en psychiatrie porte sur la psychopharmacologie. Mais le clinicien doit
bien considérer dautres aspects dans lintervention auprès des malades,
Lhypothèse contemporaine " vulnérabilité-stress " permet
maintenant de rallier les diverses facettes en interaction dans les maladies mentales. Et
des études contrôlées permettent de préciser lapport de chacun des éléments
thérapeutiques en jeu dans le processus de prévention des rechutes.
Dans la francophonie, les revues assurant la
visibilité et la validation de la réadaptation psychiatrique sont encore bien
clairsemées. En milieux anglophones, cette approche basée sur les théories de
lapprentissage social, est pourtant largement diffusée dans les équipes
psychiatriques. Nous ne sommes donc plus à létape des premières approximations
dune approche conceptuelle et thérapeutique ; nous arrivons à létape
du déploiement dune méthode validée, à son adaptation, à son enrichissement
dans la culture française. Il ne sagit pas de mettre en doute une approche
démontrée efficace ; il sagit de la nuancer, de la développer, de
lajuster à notre contexte.
La place de la réadaptation ne devrait pas se faire en
sopposant aux autres approches, mais plutôt en sassociant aux autres facteurs
thérapeutiques en interaction pour lamélioration de la qualité de vie des
patients et de leur famille.
Les combats idéologiques, bien que stimulants pour la réflexion
théorique, doivent mener à une validation scientifique basée sur une recherche
rigoureuse. La pensée humaine se caractérise par sa capacité de générer des idées
nouvelles par induction ou déduction. Les méthodologies scientifiques permettent de
valider ces intuitions et donc de séparer la fantaisie de la connaissance.
Au lieu du discours dimpuissance défaitiste trop souvent
véhiculé en psychiatrie, pourquoi ne pas viser une satisfaction légitime des
thérapeutes qui peuvent démontrer lefficacité de leurs interventions et ainsi
apporter un espoir justifié pour atténuer la souffrance des malades mentaux.
Létat des connaissances en psychiatrie (tout comme en médecine dailleurs) ne
permet pas encore de guérir, mais la combinaison judicieuse du traitement et de la
réadaptation permet dapprendre à mieux vivre avec la maladie.